En poste dans une association, j’avais perdu le sens de mon travail »
Après un master, Sarah a travaillé cinq ans dans une association, puis dans une société de conseil. Elle a démissionné au bout de 5 ans, amère, et a décidé de chercher une nouvelle voie. « 11 décembre 2018, 9 h 21 : je clique, voilà, e-mail envoyé. Je viens de démissionner de mon job. Alors que j’en avais tant rêvé ! Le problème, c’est que travailler dans une association de cette façon, cela n’a pour moi plus grand-chose d’humain. J’y suis restée pendant presque cinq ans. Petite expérience, mais assez pour que je perde le sens d’un boulot pourtant censé en avoir tant. A 21 ans, quand il a fallu choisir un master, je me suis demandée ce que j’attendais de mon futur emploi. Critères incontournables : son impact social et sa capacité à changer la vie de personnes vulnérables. Le social m’est apparu comme une évidence. Je fantasmais sur ce domaine : aider, me dépasser, être sur le terrain… Je trouve un master qui correspond à mes attentes. Puis je pars faire un stage de fin d’études, dans une association où je bosse sur des projets liés à la santé. Il y était question de sécurité alimentaire et de protection des enfants en danger dans un contexte urbain. Le stage de six mois est devenu une expérience de quatre ans : missions de terrain, spécialisation en suivi et évaluation, promotion rapide à des postes à responsabilité, puis je décroche un nouveau travail en tant que spécialiste dans une entreprise privée de consultance. Au moment où j’écris, je prends la mesure du décalage entre mes idéaux d’il y a cinq ans et la réalité de mon expérience. Certes, tout n’est pas à jeter et je ne remets pas en question toute l’action des associations dans le social. Beaucoup font un travail remarquable et nécessaire. Mais mon expérience m’a confrontée à la perte de sens : course à la promotion, ambitions démesurées, compétition entre les gens, harcèlement, heures de travail interminables, pression… Sans m’en rendre compte, je me suis retrouvée à vouloir plus de responsabilités, toujours plus de réussite, comme beaucoup d’autres de mes collègues. Je voulais faire une grande carrière. Par ambition, j’étais prête à accepter n’importe quoi. J’ai travaillé des semaines entières jusqu’à 3 heures du matin, week-ends inclus. Je voulais être promue manager et ça a marché : je suis devenue la plus jeune manageuse de l’entreprise, alors que je n’en avais pas les épaules. Cela m’a conduite au burn-out deux mois plus tard. L’observation de certaines dérives m’a achevée : des dépenses de fonctionnement exorbitantes, des heures à débattre de grands principes, à faire des réunions de coordination inutiles, ou à participer à des formations déjà reçues bon nombre de fois. Pis, j’ai eu parfois la sensation de faire face à une posture dominatrice de certaines organisations. Un modèle de réussite bien établi La prise de conscience a été un processus de plusieurs mois. Je suis devenue critique des méthodes de travail. Critique des gros projets coûteux, aux impacts limités. Critique d’un système qui ressemble parfois à une grosse machine. Le plus dur, mais le plus intéressant aussi, a été de réaliser que j’essayais de coller à un modèle de réussite bien établi et que je ne travaillais plus pour les bonnes raisons. Je ne critique pas l’idée de fond derrière ce travail ; je remets en cause certaines dynamiques nuisibles. Tout cela m’a laissée avec du vide et une question angoissante : si pour moi le social a perdu son sens, où est-ce que je vais en trouver ? D‘après le journal Le Monde
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